Saviez-vous qu’il existe au sein de l’Université Clermont Auvergne, des recherches de superabsorbant et biostimulants pour les plantes ?
Ce projet est porté par Aldo Borjas, un chercheur en biologie végétale et ingénieur de maturation. Lauréat du Concours i-PhD, concours d’innovation de l’Etat opéré par Bpifrance, nous l’avons interviewé pour vous en apprendre plus sur son projet et ses recherches !
Aldo, félicitations pour ta récente distinction au concours i-PhD ! Peux-tu nous raconter ton parcours académique et ce qui t’a amené à te spécialiser en biologie végétale ?
Cette spécialisation m’est venue alors que je faisais mon stage de Master 2 réalisé à l’Institut Pascal, qui portait sur la production des exopolysaccharides à partir des microalgues rouges. Cela a été ma première approche avec le monde végétal, et celle qui m’a donné envie de pousser plus loin l’expérience. J’avais à l’époque déjà noué de très bons contacts avec Jane Roche, chercheuse au laboratoire GDEC, et c’est pourquoi j’ai décidé de revenir à Clermont-Ferrand, et d’intégrer son équipe, avec un projet qui portait sur la biostimulation en utilisant des sucres comme les exopolysaccharides, sur lesquels j’avais déjà travaillé. Cependant il s’agissait cette fois de se concentrer sur une application plus “santé” sur les plantes. Cela m’a permis de mettre en pratique mes connaissances transversales, en biologie et biochimie, pour la santé du végétal.
Peux-tu nous raconter ton histoire atypique et ce qui t’a amené à franchir l’océan et vouloir apprendre la langue de Molière
Tout remonte à un échange réalisé avec l’Université de Technologie de Compiègne en 2015. C’est lors de cette expérience que j’ai pu constater le niveau avancé de la France dans le développement des biotechnologies, avec une approche et une propulsion beaucoup plus avancée qu’au Mexique. Cela a été le premier facteur, et en deuxième il faut bien avouer que la France est un très beau pays !
J’ai ensuite décidé de poursuivre en France avec un Master en biotechnologies appliqué au milieu marin à Lorient en 2019.
Ta thèse a été soutenue en mars 2025. Peux-tu nous vulgariser un peu ton sujet et nous dire quels ont été les principaux défis scientifiques et techniques rencontrés lors de tes recherches ?
En quelques mots, il s’agit de créer un stimulus chez la plante, comme celui généré par les vaccins chez les humains. Cela a été prouvé, une plante est capable de reconnaitre des pathogènes / agresseurs, et peut ainsi mieux se préparer à produire les molécules nécessaires pour combattre ces attaques. En pratique, on extrait des molécules de plantes, comme les alginates des macroalgues, ou encore des molécules issues d’insectes ou de champignons que la plante va reconnaître comme des pathogènes. Par la suite ces molécules seront formulées pour être appliquée à la plante. Cela va lui permettre de développer son immunité. C’était le premier aspect.
Au vu des problématiques actuelles, nous avons choisi de cibler en particulier le stress hydrique chez les plantes (manque d’eau). Pour répondre à cette précarité, nous avons conceptualisé un superabsorbant pour aider aux plantes à mieux retenir les réserves d’eau. On a ainsi un réservoir d’eau biodégradable, couplé à des molécules biostimulantes pour une synergie qui permet à la plante de mieux résister et se développer.
Ce projet présente de nombreux défis, notamment le fait que les biostimulants ne soient pas encore très bien perçus par les communautés agricoles. En effet, on leur préfère encore les méthodes / techniques plus intensives qui permettent un rendement plus important, au contraire d’une solution avec un impact plus limité. D’autres part, certaines espèces de plantes demandent un plus gros travail d’affinage pour pouvoir leur appliquer un biostimulant efficace et optimal. Typiquement le blé est une culture dont la période de croissance rend l’utilisation d’un biostimulant beaucoup plus challengeant. Cette culture passe également par plusieurs stades de croissance, dont chacun est capital, ce qui nous oblige à cibler sur un stade en particulier pour ne pas casser toute la chaîne. Mais nous allons bien sûr continuer à creuser, c’est le but même de notre rôle de scientifique !
Que représente pour toi ce choix de sujet ?
Ce sujet m’est vite apparu comme une très bonne opportunité de thèse, alors que de prime abord, je n’étais pas particulièrement porté sur les plantes. Dans les écoles, l’accent est beaucoup plus mis sur la biologie animale, ou la biotechnologie, plus particulièrement la microbiologie, mais finalement peu vers la biologie végétale (plutôt réservée aux biologistes, à la base). Pourtant les plantes sont essentielles à notre survie, il ne faut pas les négliger !
Lorsque j’ai découvert la possibilité de concentrer ces travaux sur des applications biochimiques, ce qui est plutôt mon domaine, j’ai choisi d’orienter mes recherches dans ce sens. J’avais déjà eu l’occasion de travailler à produire des sucres à partir de micro-organismes, l’objectif est maintenant de voir si on peut les appliquer à d’autres micro-organismes. Cela me permettait de mettre mes compétences au service d’autres développements et travaux.
Avec ton œil extérieur, comment juges-tu la recherche Française, et le Pôle Clermontois ? Qu’est-ce que tu retiens de ton doctorat ?
J’ai l’impression que du point de vue français, la recherche en France a encore des progrès à faire. Pourtant de mon point de vue extérieur, la France offre vraiment de belles opportunités pour la recherche. C’est un monde très stable, et qui nous permet rapidement d’être intégré à des équipes en étant plus qu’un simple technicien exécutant et en ayant plus de responsabilités. J’ai cette chance avec Jane Roche et Cédric Delattre (chercheur à l’Institut Pascal) qui sont très à l’écoute et qui permettent un partage scientifique très dynamique. De plus, Il y a tellement de possibilités de développer ses recherches, même à petite échelle et dans des laboratoires à taille humaine comme à Clermont-Ferrand. Cela nous donne une grande autonomie et permet un travail d’équipe très varié et engageant, une vraie pluridisciplinarité, c’est une grande force.
Comment vois-tu l’évolution de la biotechnologie verte dans les prochaines années ? Quelles sont les grandes tendances ou innovations qui, selon toi, transformeront l’agriculture durable ?
Difficile de répondre, aujourd’hui, les possibilités de recherche sont énormes ! La tendance est surtout à la multiomique (discipline de la biotechnologie alliant les dernières avancées et analyses des champs de recherche de la génomique à la métabolomique). Ce groupement de technologies permet d’avoir des alternatives plus ciblées. L’IA permet également des développements plus poussés et d’ouvrir de nouveaux champs de recherche. Certaines startups ont aujourd’hui une expertise très poussée, avec des analyses multiomiques sur les micro-organismes qui permettent des applications très précises, pour une exploitation de ressources plus raisonnée et plus optimale ; ça donne beaucoup d’espoir pour la suite. Également, la sélection variétale va beaucoup plus loin aujourd’hui. J’ai par exemple rencontré des chercheurs qui ont travaillés avec d’anciennes variétés de blé et de maïs avec un potentiel énorme, et à mon sens, il faut profiter et s’inspirer de cette antériorité. On se rend compte que bien souvent, la réponse vient directement de la nature !
Comment envisages-tu l’intégration de ton projet dans le tissu économique local ? Quels partenariats ou collaborations envisages-tu pour maximiser l’impact de tes innovations ?
Notre projet en est encore à ses premiers pas, mais nous avons déjà pu constater plusieurs marques d’intérêt de la part des industriels. Nous sommes encore au stade de la curiosité, mais c’est très encourageant pour pouvoir tester la faisabilité et l’efficacité. Notre objectif est bien sûr de pouvoir tester en local, nous avons déjà envisagé des contacts avec plusieurs pépiniéristes, producteurs et coopératives agricoles. Notre projet n’est pas qu’un superabsorbant, ce sont aussi des biostimulants, donc notre objectif est vraiment de profiter de ce terrain de collaboration et de cette biomasse disponible au niveau local.
Clermont Auvergne Innovation t’accompagne dans ton projet entrepreneurial. Sur quel sujet va être créée ta startup, et quelles sont les prochaines étapes pour le développement de ton projet ?
Aujourd’hui notre positionnement n’est pas encore définitif, nous sommes encore en phase exploratoire pour mieux définir les besoins du marché. Les retours sont pour le moment très positifs, mais pas assez concluants pour arrêter une seule proposition de valeur, d’autant plus que notre solution est vraiment multifonctionnelle. En fonction des réglementations et de la disponibilité des matières premières, cela orientera aussi notre positionnement. Chez Clermont Auvergne Innovation, le programme de maturation nous permet de mieux définir nos orientations et sur quoi concentrer nos efforts, et l’accompagnement à l’entrepreneuriat nous aide à établir notre positionnement marché, ce qui est très complet.
La suite, c’est donc une analyse approfondie des segments de marché, de leurs opportunités, et s’il y a une opportunité, préparer au mieux notre entrée sur ce marché, en vue d’une POC (preuve de concept) la plus pertinente possible.
Toi qui a été un étudiant entrepreneur pépite, quels conseils donnerais-tu aux jeunes chercheurs ou doctorants qui souhaitent allier recherche scientifique et entrepreneuriat ?
Parfois l’un des freins principaux au fait de se lancer dans un projet entrepreneurial pendant un doctorat, c’est de se dire que l’on n’aura pas le temps de s’y consacrer. C’est pour moi un faux frein. L’entrepreneuriat, c’est pour moi un monde différent mais parallèle à la recherche, voire qui vient l’enrichir : cela permet de s’interroger sur le potentiel de valorisation de son sujet de thèse, et avoir les bons outils pour le faire. C’est là où Pépite représente une très belle opportunité. J’ai le souvenir d’une atelier/conférence sur la propriété intellectuelle de Pépite et de CAI, qui m’ont permis d’envisager d’autres pistes que la “classique” publication d’articles, comme le dépôt de brevet, et en savoir plus sur ce fonctionnement.
Pépite c’est également une communauté, des événements qui regroupent des profils très variés (doctorants, élèves d’écoles d’ingénieurs / art…), qui présentent des solutions de produits ou services très innovants, c’est une vraie ouverture d’esprit qui peut enrichir notre réflexion. Cela nous aide à confronter notre idée, les enjeux de notre recherche, à trouver des points communs…
Comment envisages-tu ton avenir pro et perso ?
Aujourd’hui, je suis ingénieur de maturation, et c’est une année charnière pour le positionnement et le développement de mon projet. La priorité pour moi, c’est vraiment de définir notre positionnement et nos prochains défis. Le quotidien est bien rempli, et cette année va nous permettre de voir si ça marche ou pas… Et si ça ne marche pas, la recherche est pleine de rebondissements, je sais qu’il y aura de nombreuses voies pour pouvoir valoriser mes recherches, et mes compétences. Et qui sait peut-être créer la prochaine licorne de la biologie végétale !